extrait du fanzine internationaliste Papercore #5, qui viens d’être publié et qu’on distribue. Version française et anglaise ci dessous. Cimer à Leda pour la traduction!

Ma grand-mère est décédée de la Covid il y a 4 jours.

Elle avais un âge bien avancé et faisait typiquement partie des personnes à risque. Ma famille venait de prendre la décision de l’emmener dans un EHPAD car elle perdait grandement en autonomie et cela devenait dangereux pour elle de rester toute seule. Nous lui rendions visite pratiquement tout les jours et mon dernier souvenir d’elle fut de la voir en relative bonne santé, souriante et ayant repris du poil de la bête grâce à l’attention qui lui était portée dans l’établissement. C’est là bas qu’elle a été contaminée et sa déchéance a été très rapide, 3 jours seulement d’hospitalisation pour dire vrai.

Du coup, la liberté, s’il en est, de mettre ou non un masque ou d’appliquer tout autre gestes barrières, est de plus en plus relative dans ce contexte. L’épidémie grimpe en flèche, de ce côté ci de la France, pour la troisième fois. Je réfléchi au sens que peuvent revêtir les mots « prendre soin des nôtres » qu’on voit un peu trop apparaître à mon goût ici ou là dans tout un tas de discours plus ou moins proches de nous. Je les utilise y compris mais ça n’est pas satisfaisant, ça en deviendrais même suspect.

Placer « les nôtres » en priorité, en faire un principe et lui donner un caractère pratiquement revendicatif et politique, ça sonne un peu trop comme un programme communautaire un peu pénible. Qui sont « les nôtres » ? La famille biologique ? Celle de cœur et d’idée, celle qu’on s’est choisi parcque on se sent pas trop menacé par elle et remis en question? D’emblée dans cette phrase on trace et définis un nous et une frontière avec un extérieur. Et puis à la sauce militante, direct ça sonne comme le sésame irréfutable et jme dit que ça cache autre chose.

Tout ça pour dire qu’il me semble qu’on peut être de bonne foi, vouloir prendre soin des gens qu’on aime dans ce monde individualiste, et finalement être très en phase avec l’idéologie néo-libérale de notre époque, qui est, en gros, « groupe toi par affinité, toi seul peut choisir et décider d’avec qui te grouper, construire, déconstruire et reconstruire tes liens, tes affinités, après tout, voilà le sens de la liberté ».

On pourrais prendre en compte tout un tas d’arguments et se baser sur autant de vécus pour me contredire. J’ai conscience que je peux même heurter pas mal de sensibilités en écrivant ça. Mais il me semble qu’être anarchiste, au minimum libertaire en ayant un tant soi peu de conscience sociale, c’est aussi admettre qu’on a pas toujours le choix de tout les paramètres et qu’il faut faire dans une certaine mesure avec ce qui existe autour de nous.

Je ne vois pas pourquoi je me comporterais différemment avec les gens que je croise dans la rue, les inconnus sur le trottoir, les collègues de taf…et les personnes avec qui je partage mon vécu, celles que j’aime, que j’estime. Vous saisissez un peu?

Et moi j’ai pas trop le choix que de partager ce quartier lillois où les loyers augmentent, mais où vivent tout types de gens. On a pas le luxe de pouvoir se barrer à volonté dans la nature…ça me fait penser à ce livre de Cometbus qui vient de sortir en français, « retour à la terre » aux nouvelles éditions Demain les Flammes, j’ai trouvé qu’il posait les bonnes questions à ce propos (même si elles auraient méritées d’être plus développées). Même si je respecte les projets d’autonomie, l’engagement et le travail que ça représente, et que ça peut avoir du sens et un vrai rôle ces allez et retour ville/campagne. Je pense à ces lieux où on peut venir se reposer un temps, où c’est possible de cultiver, de produire et d’avoir la place pour accueillir des activités sociales et politiques…

Dans tout ce merdier dont on hérite, je trouve qu’on se débrouille pas trop mal cette année. Collectivement, on est en slip c’est vrai, ce qui ne veut pas dire que « rien ne se passe ». Il semble que l’arrêt des activités sociales et culturelles conventionnelles nous poussent à nous retrousser les manches et à créer des choses différentes, un peu plus à notre image…

Si c’est le son qui vous intéresse dans cette lettre, on sent que la scène punk, rap et Diy locale bouillonne et s’apprête à sortir des trucs (qui devraient être déjà disponible quand vous lirez ces lignes) : Psychrophore, entre fast et punk hardcore, ont bientôt de quoi préparer une deuxième sortie. Gutter, punk hardcore, ont sortis début 2020 un EP 5 titres sur le thème du blues digital et numérique, « Simulation EP », bien en phase avec l’époque. Chiaroscuro (lié au label/distro Dirty Slap), on sortis une démo post-punk en début d’année dernière également. La même avec Jodie Faster (et le label/distro/orga Don’t trust the hype), ils font du fastcore et ont sorti un album presque au même moment. Short Days (pas loin du label Build me a Bomb), punk rock qui lorgne du côté de la scène « Sabotage/Destructure » ont aussi de quoi sortir un 4 titres et bientôt un LP…Utopie, récent groupe post-punk, ont sortie une démo k7 « nouveaux souvenirs » en fin d’année 2020…Peur Bleue (dans nos souvenirs ça sonne un peu comme de l’indie punk, un peu pop…) se préparent à enregistrer un morceau pour une compile collective dont vous entendrez bientôt parler, avec une bonne partie des groupes cités dans ce texte. On attend aussi de pouvoir écouter la démo des mystérieuses Brutal Moustache ! Kronstadt, punk rock du coin, ont aussi enregistrés 12 morceaux l’hiver dernier pour un deuxième LP. Encore dans le punk-rock, on attend de pouvoir retrouver Grabuge (et de fouiller dans leurs nouveau zine/distro « l’ouie pleure ») et qu’ils puissent nous faire écouter leurs nouveaux morceaux. On peut régulièrement écouter tout ça dans l’émission de radio Punk/rap/oi Rien n’a encore changé. Sinon,Sinoque rappe l’ambiance du coin à sa manière, et nous fait l’historique des squats locaux dans sa démo « Monde Vieux ». On retrouve Tovee, Ile ,6ail et la clique du label lillo/marseillais Mix Down Prod dans le projet « Mais qui t’invite » après un Lp « dérives urbaines » qui a bien déchiré. Il y a régulièrement des nouveaux freestyles à écouter sur le site du label. La musique est différente mais la vibe est globalement la même, on trouve les réjouissances là où on peu, dans le désastre partagé en collectif. Le cabaret du cœur fendu, qui font de l’effeuillage burlesque, ont continuées sous forme d’atelier de modèle vivant et de vidéos en ligne, dans une veine bien caustique et féministe, mais toujours avec le swag, avec ce côté lâche rien et débrouillard qu’on leur connais. On oublie encore des gens et notre liste est loin d’être définitive. Les potes de Spit It Out, label/distro/orga punk hardcore,se préparent à fêter leurs dix ans d’existence cette année et bossent sur un fanzine d’anniversaire (autour d’eux et elles il y a notamment les groupes HxC/Crust Listix, Avorte)…

Les personnes inadaptées, récalcitrantes, en colère du coin ont bien d’autres moyens de l’exprimer. Pas mal de choses créatives se maintiennent…ont-elles vraiment le choix ? Ça semblait impensable ici de lister uniquement des projets axés autour de la musique. Pour nous, la musique c’est la bande-son d’un truc plus global, forcément en lien avec ce dont elle s’inspire et ce qui en découle. La Brigade de Solidarité 59 s’est pas mal organisée avec d’autres groupes libertaires, ou de squatteurs pour distribuer de la nourriture, des produits de soins, d’hygiène ou des masques, faire des lessives. Des marchés, des livraisons et des distributions gratuites de rue ont été organisés…Le local de L’anamorphose a été bien dynamique en 2020, proposant des cantines à emporter, le maintien de son cercle de lecture, sur place ou en ligne, et proposant un point de collecte pour la BSP59. Le local de la CNT et du Centre Culturel Libertaire (et son émission de radio La voix Sans-Maître)ont ouverts ponctuellement leurs portes pour être un lieu de solidarité et d’accueil, notamment pour les habitants de La Friche Saint -Sauveur vivant à la rue et subissant les violences de la police aux Frontières. Le collectif Lillois d’autodéfense juridique (CLAJ) a continué ses activités, tout en ayant brassé une cuvée de bière et lancé une ligne de T-shirt en soutien à la caisse ! Les Gilets Jaunes n’ont pas arrêtées de se regrouper le samedi aprèm en centre Ville. Et un nouveau local de sérigraphie/gravure à ouvert, l’Ardente. Le Comité Selom et Matisse, adolescents décédés lors d’une course poursuite avec les keufs, ont commémorés le 13 et 19 décembre dernier les 3 ans du décès de leurs enfants et amis. Pensée à eux et elles, ainsi qu’aux proches de Toufik et de Henry Lenfant (d’autres sordides affaires locales de violences policières) ! L’échappée, association et local de soutien aux victimes des violences conjugales et sexistes, fête aussi ses dix ans d’existence cette année, respect! Et le centre LGBTQIF+ Le J’en Suis j’y reste continue tant bien que mal, malgré les difficultés financières et la fermeture des bars, à proposer un accueil le jeudi soir et une émission de radio, Tata Bigoudi, sur radio Campus.

Il y a eu aussi l’année dernière quelques belles émeutes, brasiers ou batailles de boule de neige. De toute façon, c’est pas prêt de s’arrêter, nous sommes de plus en plus à essuyer les affres de ce système, à payer les pots cassés…alors on ferais mieux de continuer à se grouper, à se réchauffer et à imaginer des solutions collectives pour s’en sortir. Nike les keufs et distancez vous d’un maître !

A la prochaine,

Dead – Lille, entre le 4 et le 19 janvier 2021.

Ps : Ah et ça fait plaisir de retrouver dans ces pages, et au fil des numéros, les activistes et contacts d’ici et d’ailleurs. Dédicaces! Cimer pour les nouvelles. Nous on est là, en vie, et yaura toujours un bout de matelas à partager, ou un cornet de frites, ouais. On lâche rien!

ENGLISH VERSION:

My grandma passed away from Covid four days ago.

She was quite old and was the archetype of what people considered at high risk. My family had just taken the decision to put her in an old people’s home.

Her loss of independence was growing each day and it became unsafe for her to keep living on her own. We visited her almost every day. My last memory of her is one of a relatively healthy, smiley woman, having regained some strength, given the support she was getting at the care home. It’s here that she was infected and her decline was rapid. To tell you the truth, it was only three days in hospital.

So, the freedom of wearing or of not wearing a mask — if one can call that freedom, according to the context — is becoming more and more relevant. The same with protective measures.

On this side of the country, it’s the 3rd wave of the pandemic, and it’s shooting up. I think about those words, seen everywhere: “Take care of our loved ones”. About the weight they carry and the sense they can possibly be charged with. Those words we hear a little too often, if you ask me, in many different conversations, more or less all around us. I use them myself, but I’m not happy about it, it could almost become suspicious.

Prioritising “our loved ones”, almost as a matter of political principle and protest, sounds like some sort of tedious community program. Who do we mean, with “our loved ones”? Our biological family? Or that other family, the ones we chose with our heart and ideas because we don’t feel too threatened or challenged around them? Besides, these few words quickly trace a line between an established “us” and “them”. And taken as activists’ lingo, it sounds like an unchallengeable statement, and I got the feeling that something else’s hidden behind it.

This is to say that it seems to me you can be truly genuine, willing to take care of the people you love in this individualistic world, but this doesn’t keep you from walking hand in hand with today’s neo-liberal ideology — which is, basically: “keep your affinity groups together, You alone can chose and decide who you want to group together with, who you want to construct, deconstruct and reconstruct your bond with. After all, that’s what liberty’s all about.”

You could contradict me with tons of arguments, or various life stories. I do realise that I probably hurt quite a few people when I say this. But to me, being an anarchist — or at least libertarian with a minimum of social awareness — drives you to concede you don’t always have the choice of all aspects. And then sometimes, we just have to adjust to the circumstances with what we’ve got around us. I really don’t see why I should behave any differently with people I cross in the street, strangers on the pavement or workmates, and those I share my life with, those I love and cherish. You know what I’m talking about?

I don’t really have a choice when it comes to me living in this neighbourhood in Lille, in which the rents keep increasing, but where all sorts of people live. We can’t afford taking off to the country side whenever we feel like it… That reminds me of Retour à la terre, Cometbus’ latest publication in French by Demain Les Flammes. Even though they could have been slightly more developed, I think he raises accurate questions on the topic. I respect projects based on autonomy and self-sufficiency as well as all the hard work they require. I actually think these back and forth travels between countryside and city can matter, and that they can even make sense. I’m talking about those places where it’s easily possible for us, city dwellers, to come around and have some laid-back time for a while. Places with enough space to grow, to produce, but also to host social and political activities.

Considering the amount of shit we’ve been dealt this year, I think we’re actually not doing so bad. Truth is, we’re all a bit impotent collectively, but that doesn’t mean that nothing’s going on at all. The normal social and cultural institutions and activities are on hold for now, and it feels like this has driven us to initiate and to knuckle down with things in a different way, maybe closer to our own vision.

If it’s music related info you’re after in this column, I can tell you the local punk, rap and DIY scenes are particularly productive and are about to release new out-puts, probably already available when you’ll be reading these lines.

Psychrophore will soon have enough material of their fast/hardcore punk to put out a second release. In early 2020, hardcore punk band Gutter has released a very relevant to these times 5 track EP, Simulation EP, themed around digital blues. In the same period, Chiaroscuro, have released a post-punk demo on the distro/label Dirty Slap. Same timing for Jodie Faster’s fastcore record, released on the label/distro Don’t trust the hype. Short days, close to label Build me a Bomb but sounding like a Sabotageor Destructure release, have a 4 track punk rock EP coming out — and soon, also an LP. The recent post-punk band Utopie has released the demo tape Nouveaux souvenirs, towards end of 2020. If I remember well, Peur Bleue sounds a bit indie-punk, almost poppy… They’re about to record a track for a V/A compilation you’ll soon be hearing about, with most of the bands we’ve mentioned here. Also looking forward to hearing the mysterious Brutal Moustache’s demo. Local Punk rock band Kronstadt has recorded 12 tracks for their second LP. We’re impatient to hear Grabuge’s new punk rock tracks, and to have a look at their new zine and distro L’ouïe pleure. You can hear everything we’ve mentioned here regularly in the punk/rap/oi radio show Rien n’a encore changé. Talking about rap, Sinoque’s specific flow tells us the local squat history and the general vibe around here in the demo Monde Vieux. Tovee, Ile and 6ail as well as the crew from label Mix Down Prod, from Lille and Marseille, have a new project, Mais qui t’invite. Their previous LP Dérives Urbaines was wild, and you can listen to new freestyles on their website. The sound is slightly different, but the vibe is generally the same. Find satisfaction wherever you can — in this case, in our shared disaster. The burlesque Cabaret du cœur fendu have carried on stripping, by offering online life-drawing workshops but also video performances of their acts. Their style remains incisive and feminist, but still shrewd, determined and with a lot of swag, as usual. Our friends from the hardcore punk label/distro/gig organisation Spit It Out, are about to celebrate their 10th anniversary this year, and they’re working on a zine for the occasion. Around them, you can find HxC/Crust bands such Listix or Avorte.

Around here, inadequates, rebellious people and other misfits have different methods to express themselves. Quite a lot of creative activity is still on the go, is there really any choice? I can’t even think of restricting this paper to musical projects. To us, music is the soundtrack of much wider concerns. Stuff that inspires music, or stems from it. La Brigade de Solidarité 59 has organised itself with other libertarian groups or with squatters, to hand out food, personal hygiene products, cleaning products, masks or to do people’s laundry. They’ve set up free-shops, street and home deliveries.

Free meals to take away have also been prepared at the Anamorphose. The place has remained really active all through 2020, from keeping their reading group going, either in person or online, to becoming a space where the BSP59 could collect things. The CNT and the Centre Culturel Libertaire have occasionally opened their premises to show solidarity and host, for instance, people or migrants living at the Friche Saint-Sauveur, who frequently endure police violence, here and at the borders. The Collectif Lillois d’Autodéfense Juridique (CLAJ) has brewed beer and printed T-shirts, sold as a fundraiser.

The Gilets Jaunes haven’t given up on the saturday afternoon demos in town.

Also, a new silkscreen printing and carving place has opened, L’Ardente. Selom and Matisse, two teenagers, died being chased by cops 3 years ago. Le Comité Selom et Matisse commemorated on the 13th and 19th of December the loss of their kids and friends. A special thought for them, same as for Toufik and Henry Lenfant, other local victims of police brutality.

Another anniversary is the 10th of L’Échappée, an organisation for support for domestic abuse and sexist violence. Respect! The LGBTQIF+ centre J’en Suis J’en Reste keeps somehow going, despite financial problems and the bar being closed. On thursdays they keep a walk-in time, and they also have a radio show on Radio Campus, Tata Bigoudi.

Throughout last year, we’ve also had a few brilliant riots, blazing demos and snowball fights. Anyway, There’s no chance any of this will stop at any point, there are more and more of us to clean up the mess created by this system, and to pay for damages we’re not even responsible for. So we’d better keep grouping together, holding each other warmly and imagining collective solutions to cope with all this. Bin The Issues, Wash Your Hands !

ACAB.

See you around,

Dead – Lille, between January 4th and 9th 2021.

P.S: By the way, always a pleasure to read about activists and contacts from here and there in these pages and in other issues. Shout out! Thanks for all the news. We’re still here and alive, and we’ll always have a spare mattress to share, or a cone of chips, for sure! Never give up!