Il nous reste quelques copies de ce nouvel opus issue de l’autonomie berlinoise. Le thème de cette livrée sont les violences policières.

“Salut Dystopia,

Je m’attacherais ici à te retranscrire quelques impressions concernant les remous provoqués par la proposition de loi sur la sécurité globale du 20 octobre dernier. Garde en tête que mon analyse sera forcément très incomplète, écrite en dilettante, comme le punk que je suis, et basée sur la seule participation à quelques manifs du samedi […]. Il y a assurément bien d’autres manière, autrement plus érudites, de se faire une compréhension des enjeux. Je laisse aussi de côté les aspects spectaculaires des récentes manifs en france. Pour ça il y a internet, les réseaux sociaux. Je m’en extrait ici volontairement.

Dans le même temps, cette loi manie des concepts et des projections très cohérentes avec le programme néo-libéral de la république en marche (le parti au pouvoir). Elle ne fait qu’entériner un peu plus dans la loi ce qui dans les faits existe déjà et qu’on peut observer et subir quand le quotidien se résume à la débrouille, au chômage, à la contestation, à la vie en banlieue.

Les médias bourgeois puis une bonne partie des contestataires dont je fais partie dans une large mesure se sont passionnés du dit article 24, aménageant une latitude confortable de répression lorsque une vidéo montrant la police en action serais diffusée sur internet, à la justification de lutter contre la mise en danger de fonctionnaires et l’appel à la haine sur les réseaux sociaux à l’encontre de ces derniers.

Dans les faits, la police se permet tout les jours d’intimider des personnes sortant leurs téléphones pour les filmer et opposer un minimum de résistance à une situation vécue injuste.

En clair, le gros de l’opposition s’est offusquée d’une dite « entrave à la liberté de la presse et d’expression ». Une autre partie argumentait en parallèle qu’on lui retirait un outil « efficace » contre la lutte contre les violences policières. Bref, sur un terrain médiatique et politique, rien de très intéressant à notre sens, puisque le rôle des médias, de la police et du citoyen n’était jamais remis en question. «liberté d’expression, de montrer des images, de s’indigner » « lutte contre les éléments radicaux, racistes de la police ». On se place là dans le cadre de l’état de droit, de la séparation des bons et des mauvais manifestants, de la démocratie libérale et parlementaire. Toujours la même soupe infâme selon moi.

Cette idéologie sociale libérale s’en trouve même entérinée et validée par cette forme de contestation. On ne parle presque jamais des autres volets de cette loi comme l’utilisation accrue de drones, de la prise de renseignements, l’autorisation pour la police municipale de conserver son arme hors service, l’octroi de prérogatives supplémentaires pour les agents de sécurités privés, la suppression des remises de peines de prison pour des délits « anti-flics »…

Si cette loi sort à ce moment-ci, c’est que les lignes de fractures sociales sont de plus en plus visible. C’est normal que l’état et la bourgeoisie aux commandes cherchent à se protéger dans le cadre de la loi. Mais encore une foi, toute ces dispositions légales existent déjà dans la réalité de beaucoup de gens. Ici la police tue, les vigiles dans les magasins et les administrations se permettent à peu prêt tout, les drones sont utilisés dans la rue, le renseignement policier marche à plein régime quand tu es catalogué parmi les catégories « dangereuses » (musulman pratiquant, ultra-gauche, jeune, inadapté)…

Macron a beau jeu de retirer au compte goûte des dispositions de la loi après des semaines de luttes, d’émeutes, et de remue ménage médiatique. Il est politiquement acculé à pondre ces mesures sécuritaires pour contenir l’extrême droite parlementaire, l’autonomie policière et la bourgeoisie offensive se sentant de plus remise en question. Sur son aile sociale-démocrate, il semble faire montre de discernement et d’écoute en arrondissant quelque peu les angles. Tout ça c’est le spectacle habituel.

Ce qui est intéressant sur le terrain des luttes, c’est qu’avec les gilets jaunes (apparus il y a deux ans), une couche supplémentaire de la population en fragilisation économique et d’estime (la France des périphéries, jugée comme réactionnaire, anti-écolo, beauf…par cette france hipster biberonné à la start-up nation et aux « progrès » incluant les minorités dans la compétition économique), en gros une bonne partie de la classe moyenne, rejoint le cortège des mécontents sur les terrains de la lutte des classes, des valeurs non valorisables. Ce qui donne un nouveau souffle aux luttes, aux actions et aux manifs. Maintenant tu peux marcher à côté de petits entrepreneurs, d’employées, de jeunes dits « de banlieue », de militants syndicaux, et souvent tout ça en même temps. Tel que nous sommes, nous sommes laissés à notre inutilité intrinsèque du point de vue de ce système. Le capital nous veut performant, les dents longues, ambitieux et aux abois dans la fuite en avant.

On se rencontre, on prend conscience des réalités des uns et des autres, et on découvre que c’est vital d’échanger d’égal à égal, de s’engueuler sur des sujets philosophiques, religieux, sociétaux, culturels, de sortir de la relation économique qui définie quasi uniquement nos interactions modernes. Le confinement et sa sortie momentanée (on attend d’ici peu le troisième confinement) renforcent encore tout ça. On à désespérément besoin de se toucher, l’âme à défaut du corps, de prendre soin des nôtres (donc de prendre en compte les gestes barrières le temps qu’il faudra), en manif, sur un rond point, au quartier…et qu’on a pas forcément besoin de salles de spectacles, des bars et de la Culture pour ça , surtout à son stade avancée de marchandisation.

De tout ça, les bourgeois ont peur, dans cette vie que je te tente de te décrire, celle où on les remets à leur place, où on aboli de force leurs privilèges. Il y a un vrai retour de la haine de classe ici en France, les exploités, celles qui subissent le racisme, le mépris quotidien, ne font pas semblant. D’où ce genre de loi. La période est sombre mais j’observe tout les jours des lumières de dignité allumées par mes contemporains. Alors je suis tenté de te dire, encore un effort ! Les lois, les déclarations et les discours médiatiques ont selon moi toujours un temps de retard face à la débrouille, au sens commun et à l’imagination créatrice des dominés.

J’espère que j’ai pu t’apporter des éléments de compréhension, ainsi qu’à tes lecteurs d’outre-Rhin. Les images des manifs anti-masques, de la troisième voie, des expulsions en Allemagne (pensée aux luttantes du Liebig34) font cogiter et flipper évidemment…je fais le souhait de lire de meilleures nouvelles venant de chez vous. Prenez soin de vous !

Quelque part dans le Nord-est de la fRance périphérique

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